Jardiner Autrement

Un entretien avec Gilles Clément : Désherbage et permaculture

Vue du parc Matisse à Lille

Parc Matisse à Lille par Gilles Clément ©Velvet, Wikimedia Commons

Cette interview a été réalisée le 4 décembre 2018 par Smaël Boudia (chargé d’études documentaire) et Pablo Badin (chargé de projet Jardiner Autrement). Les propos tenus lors de cette interview n’engagent que leur auteur.

Quels sont d’après vous les grands principes qu’un jardinier amateur pourrait extraire de votre concept du jardin en mouvement pour son jardin potager ?

Alors le jardin potager a bien d’autres objectifs que celui du jardin en mouvement tout seul. Le jardin en mouvement dans son principe est qu’il n’est pas contre la nature. Un des aspects particuliers, c’est le déplacement physique des plantes sur le terrain par le fait que beaucoup d’entre elles meurent après avoir fait leurs graines. Ce sont des annuelles, des bisannuelles, elles ont donc un cycle court. Ces plantes vont « aller » se ressemer ailleurs. C’est le cas aussi de certaines plantes que l’on cultive dans un jardin potager mais ce n’est pas la majorité. Cela dit : « faire avec et pas contre » c’est finalement la philosophie que l’on tire du jardin en mouvement. Moi au début je ne savais pas tout ça, ce sont les plantes qui me l’ont appris. Ce sont les vagabondes au départ qui m’ont inspiré et ensuite je me suis dit puisque je respecte leur déplacement pourquoi je ne respecterai pas tout. C’est-à-dire comment elles réagissent aux insectes, à quoi elles servent, etc.

Les interactions des plantes entre elles, y compris celles que l’on met et celles que l’on ne met pas et qui viennent toutes seules, doivent être respectées. Je dirai que dans un potager on peut accepter une très large partie du mouvement comme une sorte de cacophonie apparente, d’arrivée de plantes que l’on avait pas prévu, se mélangeant avec celles que l’on a planté ou semé, et en gardant ce qui peut être utile. Par exemple lorsqu’une plante va servir d’accueil à un prédateur d’un parasite, ou simplement parce que c’est ornemental et que l’on a envie de garder cette euphorbe ou ce pavot qui arrive là et qui avait besoin d’un sol remué pour germer, il faut le faire. Donc dans le terrain destiné aux aliments, il peut y avoir d’autres choses que des aliments ça ne gêne pas les plantes que l’on cultive. Chez Moi j’ai des espèces de grands carrés ou des rectangles c’est un peu géométrique, mais à l’intérieur de ça c’est le bordel. C’est-à-dire que ça pousse comme ça peut, parce que là où ça pousse spontanément ça pousse beaucoup mieux en général que quand je m’en occupe moi-même. Par exemple, une pomme de terre dont on a oublié de ramasser certains des tubercules, et qu’ils sont les premiers a germé l’année suivante et bien ces plants sont perdus dans le terrain. Quand ils repoussent et se mélangent à une salade ou une betterave, je ne vais pas les enlever, je vais les laisser. On obtient un mélange de plantes alimentaires qui s’entrecroisent et le dessin caractéristique typique des jardins potager avec des lignes : des lignes de poireaux, des lignes de ci et de ça, tout cela disparaît et prend une autre figure mouvante. Ce changement intervient encore plus quand on fait de la permaculture parce que là on a une espèce de multiplicité d’espèces qui jouent entre elles et qui ne gênent pas du tout la production mais dont la forme, dont le résultat paysagé je dirai, ne correspond absolument pas à l’idée traditionnelle que l’on a du potager de sillon qui de mon point de vue est très militaire.

Vous dites travailler avec et non contre. Est-ce que vous adhérez à ce mouvement qui dégage 4 principes fondateurs et qui sont :

  • Arrêter de préparer le sol en profondeur du moins
  • L’arrêt évidemment des engrais chimiques et des composts préparés
  • Pas d’élimination des herbes indésirables
  • Pas de dépendance aux produits chimiques

Alors je suis tout à fait d’accord avec à peu près tout. Je trouve ces principes très pertinents mais qui peut être ne sont pas suffisamment expliqués. Quand on parle de la permaculture, c’est le fait qu’on enfouisse une matière végétale qui se dégrade lentement et que cette matière sera rendue soluble par l’eau de pluie et l’eau d’arrosage. Cette nourriture sera prise petit à petit par les végétaux, au besoin des plantes, en accord avec la possibilité pour les plantes de se nourrir. Cela n’a rigoureusement rien avoir avec l’épandage d’un engrais soluble où la plante prend ce qu’elle peut mais elle ne va pas se mettre en overdose sinon elle crève. Donc tout le reste ne sert à rien toute cette fertilisation est perdue. Il y a une volonté non polluante dans la permaculture qui n’est vraiment pas suffisamment évoqué. Je trouve que c’est une chose aujourd’hui importante à cause de l’eutrophisation des bassins et des plans d’eau. Cette pollution est d’ailleurs plutôt agricole qu’horticole mais malgré tout.

Dans ma manière de faire de la permaculture, sur une très large partie du potager, je pratique un désherbage par soustraction…ce n’est pas du désherbage, c’est un jardinage par soustraction. Le désherbage consiste à enlever tout ce que l’on a pas mis. Le jardinage par soustraction consiste à enlever les plantes qui peuvent faire prendre un risque à celles que l’on veut garder. Dans mes planches de potager j’ai plein d’oiseaux et d’animaux qui arrivent et qui apportent des graines alors, il y a quelquefois un surcroît de plantes qui vont gêner celles que je veux cultiver. Donc là j’en enlève une partie surtout quand c’est proche d’un semis car on est obligé de laisser venir la lumière et l’eau.

Si la figure de l’arbre représente le modèle fort, stable et longévif, celle de l’herbe s’apparente au modèle fragile, instable et de courte durée. En réalité les deux figures fonctionnent selon le même rapport à l’environnement : par un recyclage constant des énergies sans autre accumulation de déchets qu’une matière organique décomposable (Les végétaux, êtres autotrophes, fabriquent leur nourriture à partir de l’énergie solaire et des minéraux issus de la dégradation des matières organiques, des roches etc.)
Si la figure de l’arbre représente le modèle fort, stable et longévif, celle de l’herbe s’apparente au modèle fragile, instable et de courte durée. En réalité les deux figures fonctionnent selon le même rapport à l’environnement : par un recyclage constant des énergies sans autre accumulation de déchets qu’une matière organique décomposable (Les végétaux, êtres autotrophes, fabriquent leur nourriture à partir de l’énergie solaire et des minéraux issus de la dégradation des matières organiques, des roches etc.)

Dans une vidéo, où vous étiez en train de créer un chemin dans la broussaille, vous détourniez votre chemin pour préserver une grande Berce du Caucase. Or cette herbe est ce qu’on appelle maintenant un organisme nuisible réglementé, alors excusez-moi du terme qui est officiel, mais normalement les jardiniers amateurs ont l’obligation de les détruire.

Oui mais la technocratie est vraiment lamentable. C’est très triste de décider qu’une plante qui vient d’ailleurs est une plante qu’il va falloir éliminer. Cette élimination va nécessiter de dépenser beaucoup de temps et d’argent. Il y a encore 2 jours, je disais dans un exposé, nous étions en Bretagne :

– « Vous vous rendez compte de l’argent que vous allez devoir dépenser pour éliminer tous les chênes ». Il y a eu un silence.

– « Oui les chênes ! Ils sont arrivés il y a 10 000 ans, c’est très récent dans l’histoire de la planète ils n’étaient pas là avant, ce sont des invasives, il faut les enlever ».

Bon tout ça est complètement absurde, c’est une sorte de négation. On ferme les yeux devant les mécanismes de l’évolution tout simplement. Le brassage planétaire a toujours existé, les rencontres entre les plantes qui arrivent et celles déjà présentes auparavant. On dépense de l’argent à faire des bêtises. Il faudrait plutôt aller vers la non pollution des écosystèmes. Il faudrait plutôt empêcher ce qui tue, or les plantes exogènes ne tuent pas. Elles s’installent et elles créent des écosystèmes émergents, c’est tout. Alors que la pollution, la suppression des habitats et la pollution chimique oui ça tue et ça tue complètement ! Donc on ne met pas l’argent où il faut. Ça n’est que mon point de vue mais ne je ne me gêne pas pour le dire.

Pour en revenir à cette plante très mal vue qu’est la grande Berce du Caucase. Elle était venue dans un passage étroit et moi je voulais la garder parce que je la trouvais intéressante. Ça n’est pas parce qu’elle a changé de place qu’elle devient une mauvaise herbe. Elle ne change pas de statut, elle est bonne, c’est une herbe que je veux garder. Elle a un cycle court, elle va mourir après avoir fait ses graines. En attendant si je veux passer je suis obligé de changer mon chemin de place et c’est elle ! C’est cette plante-là qui m’a mis en charge de devoir accepter le mouvement comme une contrainte de la construction de l’espace. Je lui dois beaucoup à cette plante-là. Ensuite j’ai appris à la jardiner pour qu’elle n’envahisse pas, c’est pas du tout difficile.

Étant donné que vous êtes un homme d’écriture, la sémantique utilisée est importante pour vous. On m’a toujours dit que l’on nommait « adventices » ces herbes qui n’avaient pas leur place dans les champs cultivés. On constate depuis un certain temps une sorte de glissement, on parle de « mauvaises herbes » d’« herbes indésirables », que pensez-vous de ce changement sémantique ?

« Adventice » signifie advenir. Les herbes ne sont ni mauvaises, ni indésirables, elles sont. Elles ont un nom, celui-ci est intéressant à connaitre parce que dès que l’on met un nom sur une herbe qu’on allait tuer, et bien elle existe avec son cycle de vie. Parfois il s’agit d’une plante hôte pour un animal ou un insecte qu’on veut protéger. Ces plantes jouent un rôle dans l’écosystème. Même s’il m’arrive d’en enlever, je ne le fais jamais intégralement, de manière à ce que la diversité ne disparaisse pas car on ne connait pas le rôle de toutes les espèces sur le terrain. Parfois après avoir éradiqué une espèce, on se rend compte qu’elle était liée à l’écosystème et cela implique une perturbation. « Adventice » est également un terme que l’on emploie à l’imparfait car ces plantes n’existent pratiquement plus. Je pense aux plantes qui poussaient pendant les moissons, qui sont à cycle court et avaient besoin d’un sol retourné pour germer avec des levées de dormance qui se font sur un sol qui se retourne avec plein de lumière, plein d’eau : les bleuets par exemple qui n’existent pratiquement plus, faute de pouvoir bénéficier de ces conditions. Aujourd’hui, on peut dire que ce genre de plantes a vraiment disparu des sols cultivés à cause des intrants. On a transformé le sol en un substrat où l’on met juste la nourriture pour la plante que l’on veut cultiver en ayant tué tout le reste, y compris la vie dans le sol. La diversité est en péril partout, notamment dans l’herbe tondue car les plantes ont beaucoup de mal à germer. C’est pourquoi je soutiens que la taupe, animal qui remue le sol, a un rôle important dans tous les jardins. Dans le mien, avec un sol ouvert, cet animal – qu’on n’aime pas beaucoup d’habitude – vient maintenir et sauvegarder la diversité avec la présence de plantes adventices. D’ailleurs, en 2019, je vais faire un jardin à Lausanne pour les taupes.

Ouvrages de Gilles Clément à la Bibliothèque de la Société Nationale d’Horticulture de France (SNHF)

Les Libres Jardins de Gilles Clément, Le Chêne, 1997

Le Jardin planétaire (avec Claude Éveno), L’Aube/Château-Vallon, 1997

Les Jardins du Rayol, Actes Sud, juillet 1999

Le Jardin en mouvement, Paris, Pandora, 1991

Le Jardin en mouvement, de la Vallée au parc André-Citroën, Paris, Sens & Tonka, 1994

Où en est l’herbe ? Réflexions sur le jardin planétaire (avec Louisa Jones), Actes Sud, oct. 2006

Nuages, Éditions Bayard Culture, février 2005

Le Dindon et le Dodo, Éditions Bayard Culture, février 2005

Gilles Clément, une écologie humaniste (avec Louisa Jones), Éditions Aubanel, septembre 2006

Dans la vallée. Biodiversité, art, paysage (entretiens avec Gilles A. Tiberghien), Paris, Bayard Centurion, coll. « Essai », 2009

Neuf jardins. Approche du jardin planétaire (avec Alessandro Rocca), Arles, Actes Sud, coll. Nature, septembre 2008

Thomas et le voyageur : esquisse du jardin planétaireParis, Albin Michel, mars 2011

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