Jardiner Autrement

Noëlle Guillot : Une histoire de transmission

Guillot Noëlle Lauréate 2018

Vue aérienne du jardin de Noëlle Guillot

Le jardin de Noëlle Guillot est situé au lieudit Remspach dans la commune de Linthal en Alsace. Il s’agit d’un vaste jardin de montagne, situé à 850 mètres d’altitude, subdivisé en deux parties : 1000 m² dévolus au jardin potager et la même surface au verger.

Guillot Noëlle Lauréate 2018

Ce jardin vous a-t-il été transmis ? Pouvez-vous nous décrire son histoire ?

Mes grands parents ont vécu ici, ils avaient une petite exploitation de montagne d’une dizaine de vaches. Leur activité principale était la production du Munster. Ils avaient déjà un jardin vivrier car pour eux, avoir un jardin à proximité était vital. Ils arrivaient à produire leur alimentation pour toute l’année et n’achetaient quasiment rien. Ma grand-mère avait un grand savoir dans l’art de cultiver son jardin qui lui avait été transmis par ses parents qui eux-mêmes l’avaient hérité des leurs.

Pour elle, tous les produits chimiques de la révolution verte étaient absolument miraculeux, soudainement plus de problèmes de limaces, ni de mulots, plus de problèmes de maladies. Elle traitait sans retenue. Quand j’ai commencé à jardiner avec elle à l’adolescence, nous nous sommes souvent fâchées à ce sujet. Pour ma part je n’étais pas encline à utiliser ces produits. Progressivement, ma grand-mère a cessé de monter au jardin, j’ai repris le flambeau et modifié les pratiques de jardinage. Ça n’est pas du tout un reproche que je lui fais car le discours de l’époque consistait à dire aux jardiniers : « vos pratiques anciennes ne sont pas bonnes, elles sont d’un autre temps. Nous, on a des solutions modernes ». Du coup tous ces savoirs des temps anciens, transmis de jardiniers en jardiniers, enrichis de générations en générations ont été dénigrés et mes grands-parents sont donc tombés là-dedans un peu malgré eux.

Ce changement de pratique a-t-il été radical ou progressif ? Comment s’est passée cette période de transition entre vous et votre grand-mère ?

Le changement a été plutôt progressif puisque quand j’ai commencé à jardiner, j’essayais vraiment de faire un jardin très propre, très suivi, avec des arrosages bien gérés, des sillons tirés au cordeau et je dois dire que j’utilisais les petites poudres qui allaient bien pour gérer les limaces en particulier, enfin, […] les ravageurs en général, même si je le faisais de manière très raisonnée. Elles faisaient encore partie du processus. Mais petit à petit l’idée que tous ces produits contaminaient nos cultures et nous en bout de course à fait son chemin. Donc toujours progressivement j’ai remplacé les quelques produits que j’achetais par des extraits fermentés de plantes et autres traitement bio, certains que j’achetais d’autres que je fabriquais moi-même. Après quelques années de pratique, et par souci d’économie les intrants externes n’ont plus eu droit de cité dans mon jardin. Enfin, il y a trois ans, avec mon mari, nous avons également abandonné le travail du sol, plus de motoculteur, même plus de grelinette. J’ai pu parfaitement intégrer et faire mienne l’idée qu’un jardin « pas propre » puisse être productif, le résultat est au rendez-vous. Avec mon mari nous nous sommes rendus compte que cela n’était pas nécessaire et qu’avec un bon paillage hivernal, les vers de terre faisaient le travail du sol à notre place.

J’ai comme parti pris dorénavant de ne plus gérer les plantations en elles-mêmes mais de ne m’occuper quasi-exclusivement du sol, et de sa richesse biologique. Je soigne le sol qui me le rend bien ensuite avec des plantes saines, qui poussent bien et qui sont productives. La biodiversité au jardin (sous terre et au-dessus) amène un équilibre profitable qui nous protège, sans action extérieure, des pullulations de ravageurs et des attaques fongiques, bactériennes ou virales massives.

Quelles sont vos sources d’inspirations (des auteurs par exemple) ? Où allez-vous chercher l’information ?

Mes premières lectures marquantes ont été les ouvrages de Jean-Marie Pelt, qui parlait déjà, il y a bien longtemps, du langage des plantes et de leur capacité de communication [1]… Jean-Marie Pelt, dont j’écoutais religieusement les chroniques à la radio dans l’émission de France Inter « CO2 mon amour » a largement posé les bases de ma sensibilité écologique. J’ai découvert avec lui, que les plantes ne sont pas fragiles et sans défense, mais au contraire qu’elles ont des capacités insoupçonnées pour peu qu’on les laisse « s’exprimer » et qu’on ne les entrave pas. Finalement que l’on n’intervienne pas trop. Puis il y eu Claude et Lydia Bourguignon, et cette phrase-choc que j’ai entendu dans l’un de leur reportage « On ne fait plus de l’agriculture, mais de la gestion de pathologie végétale ». Ce sont eux qui m’ont ouvert les yeux sur l’importance de la vie du sol. Et pour définitivement m’affranchir des produits phytosanitaires (même homologués en bio), il m’a suffi de visionner quelques reportages de Marie-Monique Robin [2]. De nombreux ouvrages des éditions Terres Vivantes et bien sûr une lecture assidue des « 4 saisons du jardinage bio » on fait le reste.

[1] « La vie sociale des plantes » 1984 et « Le langage secret de la nature » 1996

[2] « Le Monde selon Monsanto » 2008, « Notre poison quotidien » 2010

Jardins de France

Cet entretien a été publié dans la revue Jardins De France de la SNHF.

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