Travail ou non travail du sol ?

Le travail du sol, considéré comme l’ensemble des opérations mécaniques fragmentant le sol, tient une place à part dans les systèmes de culture. Comparé aux autres techniques agricoles, son impact sur les caractéristiques des sols cultivés est en effet bien plus global.

En premier lieu, cet impact passe par la modification de la structure du sol : les actions mécaniques exercées par les outils (fragmentation et déplacement) et les tracteurs (tassement) modifient rapidement, et parfois très fortement, la structure. Or, celle-ci affecte un grand nombre de processus qui se déroulent dans le sol (circulation de l’eau et de l’air, intensité́ et nature des réactions biogéochimiques, conditions dans lesquelles s’activent la faune et la flore du sol, croissance et développement des adventices…). Ainsi les caractéristiques organiques, chimiques, biologiques, hydriques des couches superficielles sont affectées indirectement, via la structure, par le travail du sol et le roulage des engins.

À cet impact indirect s’ajoutent les impacts directs sur ces mêmes composantes de l’état des sols cultivés. En effet, le type de travail du sol (avec ou sans retournement, profond ou superficiel, avec des outils animés ou trainés,…) détermine la répartition verticale du stock de graines d’adventices, celle des éléments minéraux peu mobiles dans le sol, celle des résidus de culture ou des amendements. De même, le passage des outils affecte directement les populations ou la composition spécifique de la plupart des communautés d’organismes vivant dans et sur le sol. De même, le type de travail du sol et tout particulièrement la présence ou non du labour, détermine la présence (ou non) d’un mulch, c’est à dire d’une couverture de la surface du sol, constituée des résidus de culture ou d’une plante vivante. Ce mulch est d’une importance capitale pour la protection contre l’érosion, la lutte contre les adventices, les flux d’eau et de chaleur, la faune du sol.

Dans les systèmes de culture pour lequel on vise l’atteinte d’un rendement aussi proche que possible du maximum permis par la photosynthèse, le développement de l’usage des intrants de synthèse a, peu à peu, cantonné le rôle du travail du sol à un moyen de corriger les états structuraux jugés défavorables, pour améliorer l’efficience d’utilisation des intrants (eau, éléments minéraux) et les conditions de germination levée des cultures. Dans les systèmes de culture en Agriculture Biologique ou dans les zones où l’érosion représente un réel problème, en revanche, le rôle du travail du sol est resté crucial : c’est un levier majeur pour faire face aux problèmes posés par le contrôle des adventices ou la maîtrise du ruissellement.

Quel que soit le type d’agriculture, les choix en matière de préparation des sols sont, dans une exploitation agricole, déterminants sur les plans économique, agronomique et environnemental. Il n’est donc pas étonnant que le travail du sol se trouve au cœur des débats concernant la manière de faire évoluer les systèmes de culture pour faire face au nouveau contexte auquel l’agriculture est confrontée.

Il est possible de comparer ces choix à partir d’un triptyque comprenant trois catégories de critères : ceux déterminant les performances en matière de rendement et de qualité des cultures ; ceux permettant d’apprécier l’impact sur l’environnement et la biodiversité et ceux enfin qui déterminent les performances économiques.

Jean Roger-ESTRADE

Professeur d’Agronomie, AgroParisTech, Université Paris-Saclay